PLAINTE

PLAINTE

L’AMSES s’est constitué partie civile auprès des associations ECOLOGIE URBAINE et ASSAUPAMAR qui ont déposé une plainte actuellement pendante devant le tribunal correctionnel de Paris pour mise en danger de la vie d’autrui et empoisonnement par le chlordécone.

Pour tenter d’éviter la prescription des faits, et donc une déclaration de Non- lieu, l’AMSES a déposé une note écrite auprès des Juges d’Instruction en charge du dossier exposant leur vision de l’infraction.

Parallèlement une plainte a été déposée devant la Cour de justice de la République contre les cinq Ministres de la Santé et de l’Agriculture qui ont contribué dans l’exercice de leur fonction à la contamination des terres et de la population.

La plainte déposée par l’AMSES

PLAINTES INITIALES

Deux plaintes ont été déposées en Martinique, l’une par l’ASSAUPAMAR et l’autre par l’association ECOLOGIE URBAINE.

Le 10 mai 2007, L’ASSOCIATION DE SAUVEGARDE DU PATRIMOINE MARTINIQUAIS dite « ASSAUPAMAR » Association régie par la loi du ler juillet 1901 ayant son siège au LAMENTIN (Martinique) a porté plainte

Contre les représentants de l’Etat français pour empoisonnement, complicité d’empoisonnement, délit de mise en danger de la vie d’autrui et pour non- respect du principe de précaution.

Leur argumentaire était : sur le crime d’empoisonnement l’administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l’intégrité physique d’autrui et exposant la population à un risque immédiat de mort ou de blessures, ou de nature à entraîner une mutilation, ou une infirmité permanente. La violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. Ils rappellent que l’’Etat a une mission générale de santé publique résultant des dispositions de l’article 11 du préambule de la constitution qui édicte que « la Nation garantit à tous les citoyens la protection de la santé. » Les représentants de l’Etat, ministres, préfet et autres autorités administratives doivent tout mettre en oeuvre pour accomplir cette mission. Dans l’exercice de cette mission les représentants de l’Etat doivent appliquer et faire appliquer les textes et respecter le principe de précaution édicté par l’article L 110-1 du code de l’environnement. Les représentants de l’Etat auraient donc dû, conformément à la mission assignée par l’article 11 de la constitution, tout mettre en oeuvre pour protéger la sécurité des citoyens. Or, ils ont fait tout le contraire puisqu’il apparaît que les décisions qui ont été prises par les représentants de l’Etat ont tendu à nuire à la santé de cette population l’exposant à un risque certain d’empoisonnement. Les représentants de l’Etat français qui se sont succédés ont mené des actions en opposition avec leur mission de protection de la santé publique et avec le principe de précaution qu’ils sont tenus d’appliquer. Ils n’ont pas appliqué le principe de participation, selon lequel chacun a accès aux informations relatives à l’environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses, et le public doit être associé au processus d’élaboration des projets ayant une incidence importante sur l’environnement ou l’aménagement du territoire » Toute la démarche des pouvoirs publics français a été à l’inverse de ces principes.

Les responsables de ces infractions : les différents ministres de l’Etat français (ministres de l’Outre- mer et de la santé publique de l’environnement) ainsi que les représentants de l’Etat français qui ont exercé en Martinique depuis 1981 de même que leurs complices constitués des entreprises qui ont commercialisé, et utilisé les pesticides contenant du chlordécone ainsi que toute autre molécule dangereuse pour la santé de l’Homme. Ils devront être déclarés responsables pénalement de ces crime et délit. En effet les représentants de l’Etat français qui se sont succédés ont mis en oeuvre la même démarche. Aucun ministre, aucun préfet n’a rompu l’empoisonnement en cours

Aucun représentant de l’Etat français n’a tenté quoique ce soit pour arrêter le processus d’empoisonnement enclenché depuis plus de 20 ans. Tous ont fait en sorte de cacher le danger encouru par la population. Tous ont pratiqué le mensonge et la désinformation. La collusion constante et délibérée des pouvoirs publics et des békés importateurs, producteurs et vendeurs de ces pesticides nuisibles aux populations martiniquaise et guadeloupéenne apparaît à travers : des dérogations accordées malgré une interdiction de ces pesticides sur le sol français aux planteurs békés ; le laxisme des pouvoirs publics qui ont fermé les yeux et permis l’entrée sur le territoire martiniquais des produits toxiques après la fin des dérogations ; le silence des autorités voire leur refus d’informer la population sur la dangerosité de ce pesticide, sans compter les campagnes de désinformation pour « rassurer » la population.

Pire, les représentants de l’Etat français persistent et signent dans leurs agissements criminels en estimant que les martiniquais peuvent continuer à consommer des produits contenant une certaine quantité de chlordécone.

L’association « ECOLOGIE URBAINE », Association Loi 1901, dont le siège social est à Fort de France a déposé le 1e juin 2007 une plainte auprès du Doyen des Juges d’Instruction près le Tribunal de Grande Instance de Fort de France pour les motifs suivants :

  • La violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement du fait de l’exposition directement de la population à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.
  • Pour avoir autorisé la commercialisation du chlordécone, produit non homologuée (même pendant un certain temps), avoir permis l’offre et la vente des produits alimentaires contaminés dans des conditions insuffisantes de sécurité et en l’absence de précaution,
  • Pour de délit de mise en danger d’autrui caractérisé par la seule violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence.

L’absorption d’aliments contaminés durant des années n’a pas manqué de provoquer les conséquences néfastes reconnus scientifiquement sur la santé de la population. Cela explique notamment le nombre élevé de cancers de la prostate recensé dans le département.

Ces deux plaintes se complètent et peuvent se résumer ainsi

La responsabilité pénale de l’Etat est engagée pour « mise en danger de la vie d’autrui » et pour « administration de substances nuisibles

Il y a eu violation d’une mission de santé publique. Mise en danger de la santé de la population .Utilisation entre 1990 et 1993 de produits interdits connus comme toxiques. Violation du principe de précaution.

On reproche à l’Etat son manque de diligence dans la mise en œuvre de moyens permettant d’identifier et de limiter les effets de cette pollution signalée dès 1999.

Les éléments constitutifs de cette infraction sont :

  • le caractère nuisible à la santé de la substance administrée
  • la connaissance que le prévenu avait de ce caractère
  • la connaissance ou la conscience d’accomplir un acte illicite.
  • le lien de causalité ayant existé entre le fait poursuivi et la maladie ou l’incapacité de travail subie par la personne à laquelle cette substance a été administrée.

Malgré l’Arrêté préfectoral du 12 mars 2003 en Martinique, et du 20 octobre 2003 en Guadeloupe, exigeant une recherche de chlordécone dans les terres avant toute production, des autorisations de consommation de produits contenant du chlordécone sont données en 2005. Nul n’ignore l’arrêté du 5 août 1992 relatif aux teneurs maximales en résidus de pesticides admissibles sur ou dans certains produits d’origine végétale, interdisant clairement toute trace de pesticides non autorisés dans les végétaux,

Malgré l’état des connaissances sur la toxicité du chlordécone tel qu’il apparait dans les publications de l’Institut de veille sanitaire de Juin 2004 : Rapport Insecticides organochlorés aux Antilles : identification des dangers et valeurs toxicologiques de référence (VTR) Etat des connaissances, Le caractère Perturbateur endocrinien et l’action épigénétique pouvant expliquer l’action cancérigène sont déjà évoquée. Les VTR sont totalement arbitraires.

Ces deux plaintes n’ont pas pu prospérer en l’état pour plusieurs raisons :

1/ Le délai de prescription pour mise en danger de la vie d’autrui est de 3 ans. Le délai de prescription pour empoisonnement est de 10 ans. Les dates précisées dans les plaintes vont de 1981 à 1993. Les faits incriminés sont prescrits en 2003.

2/ Les expertises diligentées pour évaluer le risque sanitaire en 2013 n’ont pas conclu à un lien de causalité directe entre le chlordécone et le cancer de la prostate bien que certains aspects toxiques du chlordécone aient été évoqués
Le lien de causalité entre développement neurologique de l’enfant et chlordécone n’a pas pu être établi de façon certaine.

3/ L’incompétence du TGI pour juger les Ministres qui ne peuvent être poursuivis que devant la Cour de justice de la République. Et encore moins l’Etat dont la responsabilité a été mise en cause de manière précise.

De nombreuses expertises complémentaires entre 2013 et 2020 ont enrichi le dossier et permis de lui donner une nouvelle orientation.

Une nouvelle expertise sur le danger du chlordécone faite par Madame Myriam SIEGWART (Ingénieur agronome à l’Institut national de la recherche agronomique dans le département Santé des plantes et environnement) et Docteur Jean Louis RIVIERE , Ecotoxicologue à l’INRA a conclu :

1/que le chlordécone pouvait être remplacé par d’autres produits aussi efficaces contre le charançon.

2/ En 1981 les autorisations de vente des organochlorés touchaient à leur fin car leur persistance dans la terre était largement connue leur apparition dans les aliments aussi ainsi que leur dangerosité.

3/La Commission des toxiques avait refusé l’homologation du chlordécone en 1968 et ne l’a autorisée que de manière « provisoire » pour un an en 1972.

4/En 1981 avant l’introduction du « Curlone » des rapports STEGAROFF en 1977 et KEMARREC en 1979, montraient la diffusion du chlordécone dans l’environnement.

5/ L’apport nouveau capital vient du fait qu’il est affirmé que des preuves sont suffisantes aujourd’hui pour affirmer que le chlordécone est cancérigène par modification épigénétique (données de 2019). Donc une affirmation et un mécanisme physiopathologique évoqué.

6/Il est également affirmé que le chlordécone est un perturbateur endocrinien. (données de 2016 )

Où en est le dossier en janvier 2021

1/Le chlordécone est une substance organochlorée dont la dangerosité est connue de la communauté scientifique en 1981.

2/Le Centre international de recherche contre le cancer CIRC l’a déclaré cancérigène possible 2B en 1979

3/Le mécanisme physiopathologique de sa cancérogénicité est identifié comme épigénétique depuis 2019,

4/Dès 1959 et surtout en 1969 étaient connus ses effets du chlordécone sur les hormones sexuelles cible oestrogènes et progestérone. Il a toutes les propriétés d’un perturbateur endocrinien ce qui a été réaffirmé par des études en 2016 et peut expliquer sa dangerosité à certaines périodes clés de la vie : grossesse enfance adolescence Sa neurotoxicité à dose forte comme à dose faible est connue.

5/Il est connu comme un polluant organique persistant pour l’environnement mais aussi dans l’organisme humain. On le retrouve dans les écosystèmes avant 1981 donc on sait que la population est exposée par l’eau et les aliments

6/Le chlordécone pouvait être substitué par des produits supposés moins toxiques mais qui demandaient plus de main d’œuvre.

Le potentiel de pollution de l’environnement par le chlordécone était parfaitement connu entre 1981 et 1994 du fait du nombre d’articles parus dans des revues internationales. La pollution aux Antilles des milieux connue dès 1977

7/Le haut niveau de persistance dans l’environnement était également connu dès 1969 ( cf commission des toxiques )

Conclusion : avant la commercialisation du CURLONE en 1981 la Communauté scientifique était parfaitement informée de sa dangerosité.

DECISION DE L’AMSES

Après l’audience du 20 janvier 2021 à laquelle ont été conviées les parties civiles, l’Association Médicale de sauvegarde de l’Environnement et de la Santé AMSES-Martinique, partie civile dans le dossier, a décidé de

1/Déposer une plainte devant la Cour de justice de la République contre les cinq Ministres qui ont contribué à la contamination dans l’exercice de leur fonction.

2/Remettre une note aux deux Juges d’instruction pour tenter de les convaincre que les infractions ne sont pas prescrites. Il leur est demandé de se pencher sur la qualification

  • D’homicide involontaire
  • D’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne,
  • D’abstention de combattre un sinistre,
  • D’omission de porter secours
    Ces qualifications n’ont jamais été retenues jusque- là.

Il y a en effet un lien établi entre le cancer de la prostate qui est une maladie mortelle et la contamination par le chlordécone.

L’AMSES a donc choisi de se concentrer sur l’aspect sanitaire.

La prescription pour homicide involontaire ne court qu’à partir du moment où l’état délictueux a disparu. Or cet état persiste par la mise sur le marché de produits contaminés par le chlordécone.